Slam de l'ANVP

Lors du congrès 2024 de l'ANVP, Melissa Plaza, ancienne footballeuse professionnelle, docteur en sociologie du sport et slameuse a rédigé et interprété  pour l'ANVP un slam sur les visiteurs de prison.

L'ANVP adresse ses plus chaleureux remerciements à Melissa Plaza pour son implication.

Ce slam a été depuis enregistré par le cinéaste Vincent Gérard, au sein de la prison des femmes de Rennes... regardez et écoutez !

En voici le texte :

Pourquoi !!
Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?!
Pourquoi faudrait-il une raison ?
Si j’avais visité les EPHAD, les HP,
M’aurait-on tant de fois posé la question ?

Et derrière cette moue, cette vitrine
Y’a ce fameux : « tu crois pas que tu ferais mieux de t’occuper des victimes ?! »
Comme si s’occuper des uns
N’était pas faire grand cas des autres
Comme si leurs destins
N’étaient pas aussi le nôtre.
J’vais pas mentir Pas vous dire que j’y prends plaisir… non !
Essuyer les silences, la défiance, le manque de confiance
Accuser les retards,
Poireauter une heure voire deux au parloir...
Merci. Très peu pour moi. J
’vais pas mentir
Pas vous dire que j’y prends plaisir… non !
J’y trouve un intérêt
Celui de rencontrer des gens que je n’aurais jamais croisés en vrai
Des gens à qui je n’aurais pas accordé une heure
Eu égard à leur parcours.
Désolée, j’ai mes écouteurs J’entends pas que t’appelles au secours !

Je visite les détenus
J’aide les maudits, les exclus et ceux qui ont le cœur à la rue.
J’ai commencé sans savoir vraiment pourquoi
Au fond, je crois que je voyais en eux un peu trop de vous et moi.
Je visite les détenus
Je passe des heures entre les murs
A côtoyer nos privés de liberté
Parce que je crois que les fêlures
Ne seront jamais que des parcelles d’humanité
Première séance, roi du silence.
Comment commencer ? Quoi faire ? Quoi dire ? Et quelle distance instaurer ?

Toutes ces questions montées en épingle
Alors on finit par faire simple
On dit : bonjour, je m’appelle Didier
Moi je suis pas juge, pas avocat, pas médecin et encore moins postier.
Je suis là pour t’écouter.
Tu peux tout me dire.
Ou rien me dire. ça aussi, je saurais le supporter.
Je suis venu avec ma tenue.
Heureusement parce que d’emblée
T’as tenu à déverser.
Tout. L’horreur. Les détails. Ta stupeur.
Ton déni. Ton scandale. Tout.
Je suis rentré, le cœur au bord des lèvres.
20 bornes de course à pied,
C’est ce qu’il m’a fallu pour que je me relève.
J’ai repensé à cette pièce, minuscule Et à tous ces mots dans ta bouche qui se bousculent.

J’ai repensé à cette pièce, minuscule
Et je me suis dit qu’on serait toujours moins à l’étroit que dans ta cellule.

Comment on s’approprie sa peine ?
Quand on couche à même le sol,
Qu’on est 3 voire 4 dans une chambre de bonne.
Comment on s’approprie sa peine ?
Quand nos sens, nos 5 sens, notre essence
S’entretiennent à coup de promiscuité et de non sens.

Comment on s’approprie sa peine ?
Quand l’ouïe est saturée
Par le tapage, les cris, les parloirs sauvages
Et cette foutue télé qui gueule toute la journée.
Comment on s’approprie sa peine ?
Quand on ne sait plus l’odeur du propre et le goût du chocolat
Quand le quotidien est moins que médiocre
Et qu’on a zéro thune pour lui donner de l’éclat.

Les deux tiers de la population carcérale sont en maison d’arrêt.
Arrêt.
Coup d’arrêt, cran d’arrêt, arrêt sur image, bande d’arrêt d’urgence.
Personne ne va plus noter ton absence.
Tu as fauté alors te voilà écarté de la cité.
Dans l’attente du jugement, on aurait pu te coller des TIG ou un bracelet
Mais principe de précaution oblige ça sera case prison, tout le monde doit pouvoir dormir en paix.

Quid des vendeurs à la sauvette, des SDF qui trouvent refuge dans la piquette.
Quid de ceux qui ont volé une voiture ou roulé sans permis
Quid de celles qu’on a forcé à tuer pour rester en vie.

Une justice à 2 vitesses
Plus t’es riche et moins ça presse
Pour les autres, les rebus, les malfrats
C’est comparution et c’est immédiat !
Jugé dans la nuit, incarcéré à l’aube
Plains toi petit, Marianne t’offre une nouvelle piaule !

Je visite les détenus
Je visite les détenus
Pour pallier, parer, éviter que la violence ne se perpétue.
Je visite les détenus
Je leur offre une parenthèse dans le calvaire
Je brode, je blague, je ruse
J’essaie de trouver l’interrupteur de la lumière.
Je me dis toujours que c’est con de leur raconter ma journée
Mais eux ils veulent connaître l’azur
Que je leur dise la plage, le ciné
Et comment va ma voiture.
Ils veulent des nouvelles
Des réponses
Savoir si brillent les lumières de Noël
Et ce vers quoi ils s’enfoncent.

On joue au combien ça coûte ?
Allez, tente ta chance !
Combien un litre d’essence ?
Combien un casse-croûte ?
Et puis, je ramène l’horoscope
Amour, santé, travail
On rit, on se poile jusqu’à frôler la syncope.

Je visite aussi les détenues.
Celles à qui on ne pardonne pas, même quand elles se sont défendues.
Là-bas, les parloirs sont déserts E
t j’en crèverais si ça me mettait pas autant en colère.
Je deviens leur seule famille
Et avec le temps, les repères, la vie, les gens
Tout décanille !
Je visite aussi les détenus
Ces mineurs dont la vie bégaie dès le début.
Et à l’aube de leur majorité
Ils sont désœuvrés, pétrifiés
De devoir bientôt quitter le quartier De l’autre côté, y’a du racket, du « touche quéquette » Crois-moi y’a de quoi franchement avoir les pépettes.

Alors avec tout ça, faut composer
Tenter de maintenir l’humanité
Que la prison chaque jour s’échine à leur voler.
Voilà donc notre pierre à l’édifice
Lutter contre cette école de la récidive

La maison d’arrêt de Saint-Brieuc se trouve rue des fusillés
Et au bout de la rue, y’a la place de la liberté.
Alors un conseil quand tu sors Te trompe pas de côté
Parce que crois-moi, le goût du dehors

On finit toujours par s’y habituer.

Melissa Plaza

Nos actions/évènements

13/03/2025

Nos partenaires